BIM 2.0 et IA en Architecture : Retour sur RELEASE AEC 2025
Thomas Teyssaire
24 nov. 2025
l’IA, l’architecture et le BIM entrent dans une nouvelle ère
L'événement RELEASE organisé le 17 novembre 2025 à Saint-Denis a réuni architectes, professionnels du BIM et passionnés d'innovation technologique autour d'une question centrale : comment l'intelligence artificielle et les nouveaux outils BIM transforment-ils radicalement la pratique architecturale ? Cette journée de conférences au H4 Hotel Wyndham Paris Pleyel Resort a confirmé une évidence : nous sommes à l'aube d'une véritable révolution dans notre métier d'architecte.
L'IA au service de la créativité architecturale
La keynote inaugurale de Tim Fu, fondateur du Studio Tim Fu, a donné le ton de cette journée. Loin de considérer l'IA comme une menace, cet architecte visionnaire la positionne comme un amplificateur de créativité humaine. Son approche pragmatique illustre parfaitement comment une agence architecture peut intégrer ces technologies dans son workflow quotidien.
Le projet présenté à la Biennale de Venise reste emblématique : un chapiteau « classique » réinventé grâce à l'IA générative, puis rationalisé numériquement avant d'être confié à des tailleurs de pierre. Cette hybridation entre algorithmes et savoir-faire artisanal démontre que l'IA ne remplace pas l'humain, elle enrichit son processus créatif.
Tim Fu souligne également l'importance du storytelling visuel dans le management BIM moderne. Avec des outils comme Midjourney ou Veo3, les studio architecture peuvent désormais présenter des concepts visuels puissants sans modéliser en 3D, répondant ainsi à la contrainte majeure de l'attention limitée des clients. L'intégration de la VR avec l'IA en temps réel ouvre même des perspectives fascinantes pour la présentation de projet BIM. Particulièrement intéressant : UrbanGPT, un outil de text-to-urban planning qui permet de générer des masterplans en fonction de multiples paramètres. Pour tout bureau architecture travaillant sur des projets d'aménagement, cette capacité à traiter simultanément des données complexes représente un gain considérable dans la prise de décision.
BIM 2.0 : La révolution des outils cloud-native
Allister Lewis, CEO d'Automated Data Driven Design, a posé un diagnostic sans concession : les logiciels traditionnels du secteur n'ont pas suffisamment évolué. Son concept de BIM 2.0 ne désigne pas une simple mise à jour, mais une refondation complète de nos outils de conception.
L'architecte doit aujourd'hui considérer des plateformes comme Arcol, Snaptrude, Motiff, Rayon, Hypar ou Qonic. Ces solutions cloud-native, collaboratives par essence, dépassent les limitations des workflows traditionnels. L'exemple de Figma dans le design web illustre parfaitement cette évolution : une plateforme collaborative accessible depuis n'importe quel navigateur.
Pour toute société d'architecture cherchant à optimiser son déploiement BIM, ces nouveaux outils offrent trois avantages majeurs :
Rapidité accrue dans les études de faisabilité
Collaboration en temps réel entre tous les acteurs du projet
Interopérabilité renforcée, réduisant les décalages dès les premières phases
Allister Lewis pointe une autre facette de la réalité des écosystèmes informatiques : alors qu'Autodesk développe des solutions cloud comme Forma, Revit reste étonnamment statique - son interface et ses outils n'ont pas vraiment eu de refonte majeure depuis le lancement du logiciel.
L'IA comme levier d'optimisation économique
Stjepan Mikulic, fondateur de AI in AEC, a présenté une étude de cas concrète : une agence de design d'intérieur de 250 personnes ayant économisé 4,5 millions de dollars grâce à l'optimisation technologique. Ce chiffre interpelle tout dirigeant d'agence architecture.
Sa conclusion provocante mérite réflexion : le BIM n'est peut-être pas aussi indispensable qu'on le pense, tandis que l'IA et l'automatisation le sont clairement. Pour une société d'architecture cherchant à optimiser ses investissements technologiques, cette affirmation questionne les priorités budgétaires.
Parmi les outils présentés :
Ces solutions concrètes démontrent que les projets BIM de demain intégreront massivement l'automatisation. L'enjeu pour tout architecte n'est plus de savoir si l'IA transformera sa pratique, mais comment l'intégrer intelligemment.
Les biais de l'IA : une responsabilité éthique
Ismail Seleit, associé chez Foster + Partners, a apporté un regard critique essentiel sur les biais de conception cachés dans l'IA. Chaque image générée porte en elle des intentions, des choix compositionnels, des biais culturels intégrés dans les algorithmes.
Cette prise de conscience est fondamentale pour tout architecte utilisant des outils génératifs. Le prompt textuel n'est jamais neutre. Le style de sketching produit reflète des choix esthétiques préexistants dans les données d'entraînement. Des outils comme Gemini RAG ou The Inpainter permettent de mieux contrôler ces biais, mais la responsabilité créative reste humaine.
Pour une agence d'architecture travaillant sur des projets contextualisés, cette vigilance face aux biais esthétiques de l'IA devient un enjeu de pertinence architecturale.
Le designer intelligent : redéfinir notre métier
Jeronimo Tani, fondateur de Goodhues, a exploré la figure émergente du "designer intelligent". Sa question centrale résonne profondément : "Que signifie être designer à l'ère de l'intelligence artificielle ?"
Si une machine apprend notre style, nos goûts, nos méthodes, que reste-t-il de notre valeur ajoutée ? Cette interrogation existentielle traverse toute la profession d'architecte. Les étudiants en architecture doivent désormais considérer l'IA comme assistant, copilote et partenaire.
L'IA permet aujourd'hui à un petit studio architecture de fonctionner comme un véritable studio complet : gestion de projet, développement d'idées, organisation, aide à la décision. Mais elle ne remplace pas ce qui demeure fondamentalement humain : la capacité à décider, affiner les concepts et concrétiser la création.
Technologies cachées vs technologies visibles
La table ronde finale avec Isabel Van Haute, Anne-Cécile Comar, Philippe Croisier et François Chatillon a magnifiquement illustré la diversité d'approches technologiques dans l'architecture contemporaine.
François Chatillon (Chatillon Architectes) a démontré comment des technologies numériques avancées ont permis l'analyse patrimoniale préalable à la rénovation du Grand Palais. Anne-Cécile Comar et Philippe Croisier (Atelier du Pont) ont présenté le Pavillon Jardins au Parc de la Villette, privilégiant des solutions bioclimatiques low-tech. Isabel Van Haute (Coldefy) a exploré l'intégration technologique dans la conception de la Fondation Chine.
Cette diversité rappelle que la technologie en architecture ne se résume pas au dernier logiciel à la mode. Pour un cabinet architecture, le choix technologique doit toujours servir la pertinence du projet.
Réflexions : Entre gains d'immédiateté et perte de profondeur
RELEASE AEC a révélé une tendance marquée : l'accent mis sur le storytelling, l'image, le gain de temps et l'immédiateté. Ces outils répondent aux contraintes économiques de l'agence architecture moderne et aux attentes clients.
Mais une question demeure : si nous déléguons les plans cotés, annotés, si nous produisons cent fois plus vite et facilement, que restera-t-il de notre capacité à concevoir ?
Vers une pratique augmentée
RELEASE 2025 a confirmé que nous vivons un moment charnière. Le BIM 2.0 et l'IA ne sont pas de simples évolutions : ils redéfinissent structurellement la pratique architecturale. Pour tout architecte ou agence d'architecture, l'enjeu n'est plus de résister mais d'accompagner intelligemment cette transformation.
Les services BIM doivent également évoluer vers une approche hybride mêlant automatisation, collaboration cloud et intelligence artificielle. Le projet portée par la démarche BIM devient un écosystème vivant, collaboratif et évolutif.
L'avenir appartient aux architectes qui sauront préserver leur vision créative tout en orchestrant efficacement ces nouvelles technologies. Car si l'IA peut générer, optimiser et accélérer, seul l'humain peut décider de ce qui mérite d'être construit.
En tant qu'architectes, à l’Atelier Juno, ces questions sont centrales dans notre pratique actuelle. Ayant cette double casquette d'Architecte et d'Experts BIM, nous essayons de concilier au mieux l'usage de l'outil IA, son éthique tant sur le plan environnemental que de question de la propriété intellectuelle. Mais cela reste avant tout un outil sur lequel nous continuons de porter chaque jour un regard critique et distancié.
Toute cette journée nous aura en tout cas permis de nous rappeler de Rabelais à travers la lettre que Gargantua adresse à son fils Pantagruel :
"Science sans conscience n'est que ruine de l'âme."
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✍️ Article rédigé par
Thomas Teyssaire, architecte et spécialiste BIM
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